Depuis plusieurs mois, le gouvernement et plusieur·es acteurices du secteur vélo se félicitent de la mise en application de l’obligation de marquage des vélos neufs depuis le 1er janvier 2021 et sur les vélos d’occasion à partir du 1er juillet. Cette mesure nommée identification obligatoire des cycles est présentée comme l’arme ultime contre le vol de bicyclettes et leur recel par nos gouvernant·es et les différent·es opérateurices du marquage.
Chez Paillettes & Cambouis, nous ne soutenons pas cette mesure, car nous estimons que la lutte contre le col et le recel ne doit pas se faire au détriment des libertés et de la vie privée. Les différentes études sur le vol de vélos montrent que les mesures les plus efficaces contre le vol sont l’information des cyclistes sur les systèmes d’antivols les plus fiables et leur bon usage, ou la mise en place d’abris à vélos sécurisés.
Nous reprenons ici l’argumentaire développé par le Collectif Contre le Fichage Obligatoire des Cyclistes
« Le recul historique du droit inaliénable de ne pas laisser trace de son passage quand on ne transgresse aucune loi s’installe dans nos esprits et dans nos vies sans rencontrer d’autre réaction qu’une sidération immature. Il est déjà devenu impossible de prendre un train sans décliner son état-civil ; utiliser en ligne son compte en banque impose de faire connaitre son numéro de téléphone portable ; se promener garantit que l’on est filmé. » (le monde diplomatique – avril 2020)
Acquérir une bicyclette nécessite désormais de se faire ficher auprès d’opérateurs privés et d’un fichier centralisé.
Ce fichage obligatoire des cyclistes entré en vigueur le 1er janvier 2021 n’est pas acceptable.
« Nous interrogeons le tour que prend notre société, ivre de surveillance et d’identification permanente. Oui, nous attaquons ce système d’identification parce qu’il est trop lourd, trop contraignant, trop intrusif — là où la confiance et l’entraide devraient l’emporter — parce ce qu’il n’est pas proportionné à l’objectif qu’il se donne. Et nous l’attaquons parce qu’il postule une société de la suspicion et du contrôle de police, que nous refusons tant que c’est encore possible.
Nous le faisons parce que que nous pensons que nous avons le devoir collectif, en tant que société, et même en tant que civilisation, de regarder ce qu’il advient de nous, peu à peu mais inexorablement, à force de céder à la facilité : cette frénésie de l’identification pour se rassurer, cette délégation de l’identité à des fichiers centraux sans contrôle, la démesure des moyens matériels et financiers mis en œuvre pour simplifier, pour « fluidifier» le contrôle permanent jusqu’à le rendre invisible, indolore, insensible, tout en multipliant les conséquences néfastes pour la personne qui refuse de s’y soumettre, et ne demande que la confiance de ses égaux. »
Quelques arguments…
1/ Une volonté historique de développer le marquage obligatoire des vélos et non le fichage obligatoire des cyclistes
Porté par la FUB qui le présenta en comité vélo interministériel dès 2002, avec l’intention louable de lutter contre le vol et le recel, le fichage obligatoire des vélos prend vie presque 20 ans plus tard à travers la Loi d’Orientation des Mobilités. Mais il se transforme de manière intolérable en un fichage obligatoire des cyclistes par son décret d’application.
Pourtant le projet initial défendu par la FUB et Mme Banoun, ex-coordinatrice interministérielle pour le développement du vélo, et la loi votée par les député·es n’allait pas dans le sens d’un fichage généralisé des cyclistes.
Ainsi, appuyé·e·s par l’argumentaire développé dans l’étude « Le vol de bicyclettes, analyse du phénomène et méthodes de prévention« , Ifresi, CNRS, 2003, p83, la FUB et le gouvernement retiennent pour le texte de loi que :
« le marquage obligatoire associé au fichage obligatoire pose des problèmes d’acceptation sociale (solution écartée). Cette solution est en fait assimilable à l’immatriculation des vélos. Elle est formellement identique à l’immatriculation des voitures, au détail près de la plaque d’immatriculation. »
Restaient deux solutions privilégiées pour respecter les libertés individuelles :
• le marquage obligatoire associé au fichage nominatif facultatif,
• le marquage facultatif associé au fichage nominatif obligatoire.
2/ Un décret qui s’affranchit de la loi et remplace marquage obligatoire par fichage obligatoire
La loi est votée en prévoyant un marquage obligatoire des cycles vendus par les commerçants, et non l’inscription obligatoire des acquéreu·r·ses au fichier, et laisse un futur décret en préciser les détails.
Les travaux préparatoires menés sous l’égide de Mme Banoun puis de M. du Crest prévoient la possibilité pour toute personne de refuser de donner ses coordonnées lors de l’achat, les commercant·e·s faisant alors signer une décharge pour se protéger des poursuites.
Face aux réticences du ministère de l’intérieur qui craint de voir ses effectifs travailler sur un fichier vide, et avec l’aval de la FUB pour qui cela rend le dispositif plus efficace, la possibilité de ce refus d’inscription est retirée de la version finale du décret, transformant la mesure en un légitimement contestable « marquage obligatoire associé au fichage obligatoire ».
3/ Des risques de détournement du fichier à des fins de contrôle de la population
Un fichier contenant des informations personnelles n’est pas anodin, surtout lorsqu’il est accessible au plus grand nombre.
Le fichage de la population a fait la preuve du risque de répression et de détournement d’usage qu’il constitue. En la matière les dernières années auront marqué un formidable recul des libertés individuelles, et les 40 fichiers de police actuels seront bientôt renforcés par l’arsenal prévu par la loi sécurité globale. Le « fichier unique des cycles identifiés » est un nouveau fichage obligatoire que rien ne justifie.
Comment ne pas douter également qu’à terme le fichier composé de 35 millions d’entrées ne soit pas détourné de sa finalité première, détournement quasi-systématique comme le montre l’histoire du fichage en France ? Qu’il ne sera pas utilisé pour verbaliser les cyclistes ? Contrôler le stationnement ? Servir de prétexte à un contrôle au faciès ? Les fichiers d’aujourd’hui sont une boîte de Pandore que les dirigeant·es de demain ne demanderont qu’à ouvrir, soutenu·es par la lente dérive vers une société de flicage permanent.
Ainsi les représentant·e·s des forces de l’ordre ont poussé lors des travaux de rédaction du décret pour que l’accès aux coordonnées soit possible par leurs tablettes connectées, et surtout, contrairement à l’usage initial du Bicycode, même lorsque le vélo n’est pas déclaré volé.
Le décret donne libre accès aux informations personnelles contenus au fichier, que le cycle soit déclaré volé ou non, aux forces de police, de gendarmerie et aux services des douanes, aux agents de police municipale, aux gardes-champêtres, ainsi qu’aux agents municipaux affectés au service des objets trouvés, aux gardiens de fourrières, aux personnes, services ou organismes qui contribuent à l’identification des cycles, au directeur d’administration centrale chargé des transports et de la mobilité ou aux agents placés sous son autorité.
Rappelons aussi que le vélo est un moyen de se déplacer librement et gratuitement, sans trop risquer d’être controlé·e pour qui n’a pas de papiers ? Quelle seront les réactions de ces personnes quand elles seront obligées de s’inscrire au fichier ? Encore un nouvel outil de légitimation d’un contrôle pour la police qui n’en avait décidément pas besoin.
4/ Des risques de fuites de données personnelles
Les progrès de l’informatique et du traitement des données doivent s’accompagner d’une prudence et d’un contrôle démocratique accrus quant à la création et l’utilisation des fichiers de population. Les exemples récents de fuites colossales de données personnelles issues de fichiers de santé en sont l’illustration.
5/ Des risques de revente des données personnelles
Quel va être l’usage de ces données, quelles commercialisations aux assureurs, banques, vélocistes, etc ? Qui s’assurera du devenir des données collectées, quand tous les opérateurs de marquage du marché sont des sociétés commerciales suite à la transformation de Bicycode en SA ?
6/ Un recul disproportionné des libertés publiques et de la vie privée pour une efficacité limitée
En 2018, face à la levée de boucliers des cyclistes craignant à juste titre l’apparition d’une « carte grise » pour vélo et le risque de verbalisation, la Ministre Elisabeth Borne démentait et ventait « Un dispositif simple et efficace ».
Une efficacité somme toute relative qu’aucune étude approfondie ne peut jusqu’à présent étayer. D’après Bicycode, « 7 à 10 % des vélos marqués sont restitués à leurs propriétaires suite à un vol, alors que seuls 2 à 3 % le sont en absence de marquage. »
Et le Président de la FUB d’enfoncer le clou et d’expliquer entre les lignes pourquoi la FUB ne s’est pas opposée à un fichage généralisé des cyclistes : « C’est comme un vaccin. Tant que peu de vélos seront marqués, cela ne protégera que ceux qui sont marqués. Mais avec une masse critique suffisante de vélos marqués, cela aura un impact global sur les vols »
Pourtant l’immatriculation obligatoire des véhicules motorisés relativise l’impact futur du dispositif. En 2019, en France, 140’200 vols de véhicules motorisés ont été recensés, soit un vol de véhicule toutes les quatre minutes. Pourquoi serait-ce plus efficace sur les vélos ?
Les conclusions de l’étude « Le vol de bicyclettes, analyse du phénomène et méthodes de prévention » sont également sans appel : la lutte contre le vol des vélos nécessite des moyens adaptés. A cet effet, les études concluent à l’efficacité secondaire du marquage en comparaison de l’information des cyclistes sur le bon usage d’un antivol et la mise en place de stationnements sécurisés.
C’est pour toutes ces raisons que Paillettes & Cambouis se positionne contre le marquage obligatoire des vélos en France et soutient les demandes portées par le collectif contre le fichage obligatoire des cyclistes, en demandant :
- le rétablissement d’un système d’identification reposant sur un marquage obligatoire des cycles mais un fichage facultatif des cyclistes, tel qu’initialement porté par la FUB et conforme au texte de loi,
- le rétablissement d’un droit d’opposition garantit par la CNIL, qui permettrait à quiconque inscrit au fichier de demander l’effacement de ses informations personnelles, tel que le permettait le Bicycode,
- le rétablissement d’un accès aux informations personnelles par les ayant droits uniquement pour les vélos déclarés volés ou sans propriétaires, tel que le restreignait le Bicycode.
Nous vous invitons à signer la pétition portée par ccfoc.info : https://www.openpetition.eu/fr/petition/online/contre-le-fichage-obligatoire-des-cyclistes